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Comment les liens sociaux peuvent protéger et transformer la santé mentale des jeunes ?


En France, la santé mentale des jeunes est devenue une préoccupation majeure, culminant avec la désignation de la santé mentale comme Grande Cause Nationale. Nous constatons malheureusement une dégradation alarmante de la santé mentale chez les adolescents et jeunes adultes, accompagnée d'une saturation croissante des services spécialisés, qui peinent à faire face à la demande. Mais si la réponse à cette crise allait au-delà de la seule expansion des services cliniques ? Une étude récente et éclairante, menée en Australie, offre des perspectives cruciales, démontrant le rôle quantifié et essentiel des liens sociaux pour atténuer cette crise et construire une France plus reliée.


Le défi mondial de la saturation du système de santé mentale

Partout dans le monde, les taux d'anxiété, de dépression et d'automutilation chez les jeunes ont considérablement augmenté ces dernières années. Cette situation est d'autant plus grave que près de 14% des jeunes de 15 à 24 ans vivent avec un trouble mental diagnosticable, et 24,9% des années de vie vécues avec une incapacité due à la maladie mentale surviennent avant l'âge de 25 ans.


Face à cette escalade, l'expansion de la capacité des services cliniques se heurte à des contraintes majeures : pénuries de main-d'œuvre qualifiée, épuisement professionnel, roulement du personnel et fragmentation du système. Même des investissements substantiels ne peuvent garantir une croissance suffisante pour répondre à tous les besoins non satisfaits, d'autant plus que ce besoin est dynamique et ne cesse de croître avec la population et l'incidence des troubles.


Les liens sociaux : un bouclier protecteur quantifiable ?

C'est dans ce contexte que les stratégies préventives, telles que le renforcement des liens sociaux, deviennent essentielles pour alléger la pression croissante sur le système de santé mentale. Mais quel est précisément ce potentiel ?


L'étude "Beyond capacity limits: Can social cohesion offset the impact of service constraints on youth mental health?" a employé une méthode originale par modélisation par dynamique des systèmes, une approche analytique rigoureuse qui simule le comportement de systèmes complexes au fil du temps, pour explorer l'interaction entre la capacité des services et ce que l'étude nomme la "cohésion sociale" sur les résultats de santé mentale des jeunes. Le modèle a été développé de manière participative avec des experts, des prestataires de services et des jeunes ayant une expérience vécue des problèmes de santé mentale, garantissant sa pertinence pratique.


Ce que l'étude désigne par cohésion sociale correspond aux liens sociaux que nous promouvons. Elle est conceptualisée comme "un état concernant les interactions verticales et horizontales entre les membres de la société, caractérisé par un ensemble d'attitudes et de normes incluant la confiance, un sentiment d'appartenance et la volonté de participer et d'aider, ainsi que leurs manifestations comportementales". Elle se mesure à travers des domaines clés tels que l'appartenance, la valeur personnelle, la justice sociale, la participation et l'acceptation/rejet. Les données de la littérature indiquent que les liens sociaux peuvent protéger contre le développement de problèmes de santé mentale tels que la dépression, l'anxiété et l'idéation suicidaire chez les adolescents.


Des résultats quantifiés et pertinents pour la France

Les résultats de cette étude sont percutants et offrent des enseignements précieux pour notre contexte français :


  • Le pouvoir compensatoire des liens sociaux : L'étude a révélé des seuils où l'amélioration des liens sociaux peut compenser les impacts négatifs d'une capacité de services limité. Par exemple, si la croissance de la capacité des services ne pouvait être maintenue qu'à 80% de son niveau de référence, l'amélioration des liens sociaux pourrait tout de même réduire les années vécues avec un trouble symptomatique de 6,3%. Pour obtenir une amélioration similaire sans amélioration des liens sociaux, le taux de croissance actuel des services devrait plus que doubler.


  • L'impact d'une approche intégrée : La combinaison d'un doublement de la croissance des services (spécialisés, structures type "Maisons des Ados", et services de médecins généralistes) et de l'inversion du déclin des liens sociaux pourrait entraîner une réduction de 25,6% des passages aux urgences liés à la santé mentale et une réduction de 19,2% des années vécues avec un trouble mental symptomatique.


  • Priorité des services : Bien que l'accent soit mis sur les liens sociaux, l'étude confirme également l'importance des services. Les changements dans la croissance de la capacité des services de santé mentale spécialisés ont l'impact le plus significatif sur les résultats de santé mentale des jeunes, suivis par les services type "Maisons des Ado" et les services de médecins généralistes.


Implications pour la France et la Grande cause nationale

Les résultats de cette recherche sont d'une importance capitale pour la mise en œuvre de la Grande cause nationale pour la santé mentale en France. Ils appellent à une réponse sociétale multisectorielle, qui va au-delà de la simple augmentation des ressources médicales.


Pour la Fédération française pour les liens sociaux, cela signifie :

  • Promouvoir une approche intégrée : Il est crucial de coordonner et d'allouer des investissements réels dans le renforcement des liens sociaux en parallèle du développement des services de santé mentale pour les jeunes.

  • Développer des initiatives concrètes favorisant les liens sociaux : Les stratégies pour renforcer les liens sociaux peuvent inclure l'encouragement du soutien par les pairs et du mentorat, la promotion de l'engagement communautaire et des initiatives menées par les jeunes, le développement d'initiatives de prescription sociale (qui connectent les jeunes aux ressources communautaires et renforcent leurs connections), les programmes scolaires axés sur l'apprentissage socio-émotionnel, particulièrement pour les jeunes adolescents, les parcours d'emploi combinés à des réseaux de soutien par les pairs pour les jeunes plus âgés, ou encore le volontariat et les activités socialement productives, qui offrent des rôles significatifs, améliorent le bien-être, la santé mentale, le comportement pro-social et le sens de la communauté et de la satisfaction de vie.


Pour conclure

Comme le souligne l'étude, les systèmes de santé mentale sont confrontés à des pressions croissantes, et les jeunes qui ont des expériences vécues de détresse mentale attestent de la valeur des liens sociaux dans leur parcours de rétablissement. Se sentir connecté à une communauté, avoir un but, contribuer à des causes plus grandes que soi, sont essentiels pour rester en bonne santé mentale.


Bien que l'étude soit spécifique à une région australienne, son cadre méthodologique et ses conclusions fondamentales sur le rôle crucial des liens sociaux restent valides et adaptables à d'autres contextes, y compris le nôtre. La crise de la santé mentale chez les jeunes français nécessite une approche audacieuse et intégrée. En plus d'investir dans nos services de santé mentale, il est impératif de cultiver et renforcer les liens sociaux au sein de nos communautés pour construire une France plus reliée. C'est en combinant l'expansion des services et l'amélioration des liens sociaux que nous pourrons offrir à nos jeunes un avenir plus sain et plus résilient. C'est une stratégie plus durable et plus efficace pour relever le défi de la santé mentale des jeunes.


Sources : Occhipinti J-A, Ho N, Crosland P, et al. Beyond capacity limits: Can social cohesion offset the impact of service constraints on youth mental health? European Psychiatry. Published online 2025:1-24. doi:10.1192/j.eurpsy.2025.10053



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