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Le pouvoir des liens sociaux : enseignements d'une étude remarquable qui pourrait inspirer la France

Une étude récente et ambitieuse menée au Royaume-Uni, intitulée "Mapping Social Capital" et dont les résultats sont présentés dans le rapport "Social capital in the United Kingdom evidence from six billion friendships", offre un éclairage nouveau et surtout quantifié sur la manière dont nos liens sociaux façonnent notre bien-être. En analysant les les données du réseau social Facebook d'environ 20 millions de résidents britanniques combinées avec des données sur la mobilité économique, cette recherche dresse un portrait inédit du capital social et révèle des enseignements précieux, susceptibles d'inspirer nos actions en France.


Qu'est-ce que le capital social et en quoi est-il crucial ?

Si l'importance des relations humaines est intuitive, cette étude nous rappelle que le "capital social" – la force et la qualité des relations que nous entretenons individuellement et collectivement – est une notion clé avec des implications très concrètes.


Les chercheurs distinguent deux formes principales de capital social :

  • Le capital de liaison ("bonding capital") : Il s'agit des liens forts au sein de nos groupes familiers, de nos voisinages, des communautés auxquelles nous appartenons.

  • Le capital de pont ("bridging capital") : Ce sont les connexions que nous tissons au-delà de ces cercles, avec des personnes issues de milieux divers.


L'étude souligne que le capital social est plus qu'un simple agrément social ; il est un moteur essentiel de notre société. Face à la "Grande Division" et la polarisation en cours – cette fragmentation croissante au sein de notre société – l'érosion du capital social a des conséquences délétères : montée de la déconnexion et de la méfiance, frein à la mobilité sociale, croissance économique ralentie, épidémie de solitude et affaiblissement des communautés. Comprendre et renforcer le capital social apparaît ainsi comme un impératif majeur de notre époque.


Forces et intérêts de l'étude britannique : une mine d'enseignements

Cette recherche britannique se distingue par plusieurs aspects remarquables :

  • L'échelle inédite des données : L'analyse de six milliards de données de Facebook offre une puissance statistique sans précédent pour cartographier les connexions sociales à travers le Royaume-Uni.

  • La mesure de la "connexion économique" : L'étude met en lumière un nouvel indicateur clé : la "connexion économique" – la proportion d'amis à statut socio-économique élevé parmi les personnes à statut socio-économique bas. Elle révèle un lien fort entre cette connexion et la mobilité sociale ascendante, ainsi qu'avec le bien-être et la confiance. Par exemple, les enfants issus de milieux défavorisés qui grandissent dans les zones les plus connectées économiquement ont des revenus adultes significativement plus élevés.

  • La distinction entre capital de liaison et capital de pont quantifiée : L'étude ne se contente pas de définir ces concepts, mais les opérationnalise et les mesure à grande échelle.

  • L'exploration des contextes de formation des liens : Les chercheurs ont analysé où se forment les amitiés (quartiers, écoles, universités, lieux de travail, groupes d'intérêt, etc.) et comment ces contextes favorisent ou entravent les liens entre différentes classes sociales. Ils ont notamment observé que les groupes de loisirs et d'intérêts sont des environnements où les préjugés de classe ("friending bias") sont les plus faibles, facilitant les rencontres inter-classes.

  • L'analyse du rôle des universités : L'étude montre que les universités qui favorisent les amitiés entre étudiants de différents milieux socio-économiques ont tendance à être plus efficaces pour promouvoir la mobilité sociale de leurs étudiants défavorisés.

  • Le lien entre capital social et bien-être subjectif : En croisant les données de réseaux sociaux avec des enquêtes sur le bien-être, l'étude confirme l'association positive entre un capital social élevé (notamment des liens avec des personnes de statut socio-économique plus élevé et des réseaux soudés) et des niveaux plus élevés de bonheur, de satisfaction de vie et de confiance, ainsi qu'un sentiment de soutien social accru et un isolement moindre.


"Le capital social est associé à un bien-être plus élevé. Une augmentation de 10 % de la proportion d’amis à revenu élevé a un impact sur le bonheur autodéclaré dans la même mesure qu’une augmentation de 10 000 £ du revenu du ménage."


En quoi cela pourrait nous inspirer en France ?

Cette étude britannique, par sa rigueur méthodologique et ses conclusions éclairantes, offre de nombreuses pistes de réflexion et d'action pour la France et pour la Fédération française pour les liens sociaux :

  • Mieux comprendre le paysage social français : L'approche de cette étude pourrait inspirer des initiatives de recherche en France (dans le respect des réglementations sur la protection des données) pour cartographier les réseaux sociaux et analyser la "connexion économique" au sein de nos territoires. Cela permettrait d'identifier les zones où les liens sociaux inter-classes sont les plus faibles et où les interventions pourraient être les plus pertinentes.

  • Valoriser le rôle des espaces de rencontre "à faible biais" : L'importance des groupes de loisirs, de sport ou culturels dans la création de liens inter-classes suggère qu'il est crucial de soutenir et de promouvoir ces activités inclusives en France.

  • Réfléchir à l'inclusion dans les établissements d'enseignement : Les conclusions sur le rôle des universités devraient nous inciter à examiner comment les établissements d'enseignement français, à tous les niveaux, peuvent favoriser davantage les interactions et les amitiés entre élèves et étudiants de milieux socio-économiques différents.

  • Agir sur les "préjugés relationnels" au niveau local : L'étude met en évidence que même au sein de quartiers, des barrières invisibles peuvent limiter les interactions entre les habitants de milieux différents. Nous pourrions davantage encourager des initiatives locales visant à créer des espaces de rencontre partagés et à briser ces "préjugés relationnels".

  • Mesurer l'impact de nos actions : Les indicateurs développés dans cette étude pourraient inspirer la création d'outils de mesure pour évaluer l'impact des actions menées par la Fédération et ses partenaires en matière de renforcement des liens sociaux.

  • Plaidoyer pour des politiques favorisant le brassage social : Les résultats de cette recherche peuvent étayer un plaidoyer en faveur de politiques publiques qui favorisent le brassage social dans l'habitat, l'éducation, le travail et les loisirs.


Conclusion : semer les graines des liens sociaux pour un avenir plus égalitaire

L'étude britannique "Mapping Social Capital" nous rappelle avec force que la nature et la diversité de nos liens sociaux sont intimement liées à nos opportunités et à notre bien-être collectif. En comprenant mieux les mécanismes à l'œuvre et en nous inspirant des enseignements de cette recherche, la Fédération française pour les liens sociaux peut jouer un rôle encore plus crucial dans la construction d'une France où les liens sociaux sont solides et où chacun, quelles que soient ses origines, a la possibilité de s'épanouir.


Source :

Harris, T., Iyer, S., Rutter, T., Chi, G., Johnston, D., Lam, P., Makinson, L., Silva, A. S., Wessel, M., Liou, M., Wang, Y., Zaman, Q., & Bailey, M. (2025, 23 mars). Social Capital in the United Kingdom : Evidence from Six Billion Friendships. https://doi.org/10.31235/osf.io/kb7dy_v1



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