La solitude et l'isolement social chez les médecins traitants : un défi méconnu avec des implications majeures pour leur pratique clinique
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La solitude et l'isolement social sont de plus en plus reconnus comme des risques pour la santé. Ils ont été associés à diverses problémes de santé dont les maladies cardiaques, l'obésité, l'accident vasculaire cérébral et la démence. L'isolement social, en particulier, porte un risque accru de mortalité prématurée comparable au tabagisme.
Les professionnels de santé de premier recours, tels que les médecins généralistes, sont particulièrement bien placés pour aborder la solitude et l'isolement social avec les patients, étant souvent leur premier point de contact. Cependant, ils peuvent eux-mêmes être affectés par leur propre isolement social et leur solitude. Bien que la recherche existe sur l'épuisement professionnel (burnout), la dépression et la résilience des médecins, la solitude et l'isolement social représentent une dimension unique du bien-être des médecins. Il est reconnu que le bien-être des professionnels de santé est une condition préalable à la prestation de soins de haute qualité aux patients.
Dans ce contexte, l'étude menée par Frank Müller et ses collègues se fixe pour objectif principal d'examiner les expériences personnelles des médecins de famille aux États-Unis concernant la solitude et l'isolement social, leurs perspectives sur son importance dans la pratique clinique et leur volonté de l'intégrer dans la formation médicale.
L'étude a été menée suivant une enquête transversale en ligne auprès de membres d'organisations universitaires américaines de médecine de famille. Le niveau de solitude des participants a été évalué à l'aide de l'échelle validée UCLA.
Une solitude considérable chez les médecins généralistes
Plusieurs résultats de cette étude peuvent être mis en exergue :
Prévalence élevée la solitude et l'isolement social chez les médecins de famille : Sur 1004 répondants, 27,8 % ont obtenu un score ≥ 6 sur l'échelle UCLA-3, indiquant une solitude considérable. Cette prévalence est jugée particulièrement frappante par rapport aux taux observés chez les patients de ces professionnels (environ 20 %) et dans la population générale des pays occidentaux (< 20 %).
Disparités démographiques : la solitude et l'isolement social étaient particulièrement prévalent parmi les femmes (31,1 %), les minorités sous-représentées (36,1 %) et les répondants noirs/afro-américains (40,3 %).
Attitudes face à la solitude et l'isolement social en clinique : 54,1 % des répondants ont jugé la solitude et l'isolement social importants/très importants en médecine de famille. Une majorité (68,2 %) était d'accord ou tout à fait d'accord pour que les cliniciens de médecine de famille dépistent régulièrement la solitude et l'isolement social. Cependant, seulement 32,5 % étaient d'accord ou tout à fait d'accord pour que la gestion la solitude et l'isolement social relèvent de la responsabilité des cliniciens.
Impact de l'expérience personnelle de la solitude et l'isolement social : Les professionnels de santé qui ont eux-mêmes déclaré ressentir de la solitude et l'isolement social ont rapporté moins de discussions fréquentes sur le sujet avec leurs patients (23,7 % contre 32,0 % déclarant le faire souvent/toujours). Ils ont également signalé moins de partenariats avec les acteurs du territoire et étaient plus susceptibles de ne jamais/rarement éduquer sur le sujet. Ils ont moins souvent rapporté disposer de ressources adéquates.
Manque de ressources : Une majorité de répondants (71,0 %) a déclaré que les ressources internes de leur clinique pour aborder la solitude et l'isolement social étaient absentes ou inadéquates. Près de la moitié (49,1 %) a rapporté n'avoir jamais ou rarement établi de partenariats avec des programmes communautaires.
La discussion souligne le paradoxe d'une prévalence élevée de la solitude chez des professionnels dont la pratique est axée sur l'interaction humaine. Des facteurs comme les tâches administratives croissantes qui réduisent la qualité de l'interaction patient-prestataire, le manque de temps pour les interactions entre collègues, la séparation physique dans les salles d'examen individuelles et les flux de travail privilégiant l'efficacité pourraient contribuer à ce sentiment de déconnexion professionnelle.
Enseignements pour la France
Bien que cette étude ait été menée aux États-Unis, les défis liés à la solitude et l'isolement social chez les professionnels de santé, en particulier pour les médecins généralistes, sont probablement pertinents dans de nombreux systèmes de santé, y compris en France.
Reconnaître le problème chez les soignants : L'étude met en lumière le fait que les prestataires de santé peuvent être eux-mêmes vulnérables à la solitude et l'isolement social, potentiellement à des taux plus élevés que leurs patients. Il est essentiel de reconnaître que la solitude et l'isolement ne sont pas seulement des problèmes chez les patients mais peuvent aussi affecter le bien-être des médecins généralistes.
Impact sur la pratique : L'étude suggère que l'expérience personnelle de la solitude et l'isolement social chez les professionnels peut les rendre moins enclins à aborder ce sujet avec leurs patients. Si les médecins de famille français ressentent également la solitude, cela pourrait avoir des conséquences sur leur capacité à identifier et à prendre en charge la solitude et l'isolement social chez leurs propres patients.
Aborder le bien-être des soignants : L'étude conclut qu'avant de mettre en œuvre des initiatives généralisées de dépistage du SIL chez les patients, la profession doit aborder les propres besoins de connexion sociale des prestataires et développer des ressources pratiques. Pour la France, cela signifie potentiellement qu'améliorer la culture de travail au sein des équipes de soins primaires pour favoriser une meilleure connexion sociale entre collègues et réduire les sources d'isolement (comme une charge administrative excessive ou un manque de temps d'échange) est une étape cruciale.
Développer les ressources et la formation : La majorité des répondants américains ne se sentaient pas adéquatement équipés pour gérer la solitude et l'isolement social chez les patients. Cela suggère la nécessité de développer des outils cliniques pratiques et une formation adaptée pour les médecins de famille français afin qu'ils puissent mieux identifier, évaluer et orienter les patients souffrant de solitude, en lien avec les ressources locales existantes.
En conclusion, cette étude américaine est un signal d'alarme important. Elle suggère qu'il est urgent, également en France, de se pencher sur le bien-être social et la connexion interpersonnelle des médecins généralistes. Reconnaître et prendre en charge la solitude et l'isolement social chez les soignants n'est pas seulement une question de leur bien-être personnel, mais est potentiellement une condition fondamentale pour qu'ils puissent efficacement aider leurs patients confrontés aux mêmes défis.
Source : Müller, F., Charara, AK, Holman, HT et al. La solitude chez les médecins de famille et son impact sur la pratique clinique et pédagogique. Sci Rep 15 , 15988 (2025). https://doi.org/10.1038/s41598-025-00688-x

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