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Décryptage : Pourquoi la sociologie est essentielle pour comprendre la solitude aujourd'hui

La solitude est un sentiment profondément personnel, souvent vécu dans l'intimité. Pourtant, elle est de plus en plus reconnue comme un enjeu social majeur dans notre monde.


Si la psychologie a longtemps dominé l'étude de ce phénomène, l'article remarquable que nous propose le Pr. Cécile Van de Velde, "Sociology of loneliness: An introduction", met en lumière l'importance cruciale de la perspective sociologique pour en saisir toutes les dimensions contemporaines.


Nous vous proposons dans cet article de découvrir les notions clefs et les apports essentiels de la sociologie proposés par l'auteure. Nous vous invitons également à découvrir une version audio podcast de cet article disponible en cliquant ICI.


Au-delà du sentiment intime : La solitude comme phénomène social


L'argument central de l'approche sociologique, telle que présentée dans l'article, est d'inviter à considérer la solitude non pas seulement comme une expérience individuelle, mais surtout comme un phénomène social, dont les causes et les conséquences se jouent principalement aux niveaux social et politique. Contrairement aux approches centrées sur les facteurs de risque individuels, la sociologie révèle les dimensions structurelles de la solitude.


L'article identifie quatre axes analytiques clés qui distinguent l'approche sociologique :

  1. L'impact des normes sociales : La sociologie montre que notre ressenti de la solitude est intrinsèquement lié aux attentes de la société en matière de relations. Par exemple, la solitude des célibataires aujourd'hui doit être comprise en regard des normes sociales qui valorisent l'amour romantique et le couple comme voie vers le "bonheur". La solitude reste d'ailleurs souvent une expérience stigmatisée, façonnée par des normes liées à l'âge et au contexte. De manière surprenante, des études comparatives montrent que les niveaux de solitude sont plus élevés dans les sociétés collectivistes que dans les sociétés individualistes.

  2. Les causes et conséquences sociales et politiques : L'approche sociologique met l'accent sur les facteurs systémiques. Elle explore le rôle de l'État, des dynamiques de marché, du démantèlement des institutions civiques ou des politiques d'austérité dans la production de la solitude. Elle propose de "repolitiser" la solitude, la considérant comme une question de "justice sociale" plutôt qu'une simple "épidémie" individuelle. L'article souligne également les conséquences sociales (isolement, mort solitaire comme le phénomène "kodoku-shi" au Japon et de plus en plus en Europe/Amérique du Nord) et politiques de la solitude, qui peut se transformer en force politique (par exemple, dans le mouvement Incel où la solitude est "instrumentalisée" en colère et ressentiment).

  3. Le rôle des inégalités : La sociologie démontre que la solitude n'affecte pas tout le monde de la même manière, étant disproportionnellement vécue par les populations marginalisées ou discriminées. Elle décortique comment les inégalités sociales, territoriales et raciales façonnent cette expérience. La solitude peut aussi être le résultat de la rupture cumulative des liens sociaux due à la précarité, comme l'illustrent les recherches sur le "désaffiliation sociale".

  4. La diversité des expériences et des stratégies : L'approche sociologique s'intéresse aux multiples formes que peut prendre la solitude. Elle distingue la solitude "sociale" (manque de liens) de la solitude "émotionnelle" (absence d'une figure d'attachement significative). Elle explore aussi la solitude "existentielle" liée à la conscience de son individualité face aux grandes décisions de la vie et à la mort. Cette diversité explique pourquoi les personnes les plus isolées ne sont pas nécessairement les plus solitaires. De plus, l'article souligne l'intérêt croissant pour les manières de faire face à la solitude, y compris son potentiel créatif ou l'espoir de collectivité qu'elle peut contenir.


Contributions contemporaines et perspectives d'avenir


L'article de Cécile Van de Velde explore ensuite des domaines de recherche contemporains où la sociologie apporte un éclairage nouveau :

  • La solitude des jeunes : Autrefois centrées sur les aînés, les études s'intéressent désormais à la montée de la solitude chez les adolescents et jeunes adultes. L'approche sociologique l'explique par des facteurs structurels liés à l'entrée dans la vie adulte (mobilité, précarité professionnelle, pression académique).

  • La solitude numérique : L'article déconstruit l'idée simpliste que les réseaux sociaux ne génèrent que de la solitude. Il révèle l'ambivalence des technologies numériques, qui peuvent à la fois renforcer l'isolement (retrait social, peur de l'intimité) et atténuer la solitude en permettant de maintenir des liens, d'accroître le "capital social" et de former de nouvelles solidarités en ligne.

  • La solitude genrée : La sociologie interroge les inégalités de genre face à la solitude. Elle a remis en cause l'association stéréotypée entre célibat féminin et solitude, montrant que les normes sociales jouent un rôle clé. Elle explore aussi la solitude masculine (notamment le fait que les hommes sont moins susceptibles de chercher de l'aide) et les expériences de solitude chez les minorités sexuelles ou de genre, souvent liée à l'oppression et à la discrimination


La pandémie de COVID-19 a agi comme un révélateur, intensifiant les tendances existantes et soulevant de nouvelles questions. L'article propose plusieurs voies de recherche clés pour l'avenir et invite à développer une approche prenant davantage en compte les inégalités (âge, genre, classe, race, territoire) qui s'accumulent et façonnent l'expérience de la solitude. Transcendant le le débat "pour ou contre" les technologies et reconnaissant l'importance du contact physique et de la présence, il promeut un nouveau paradigme pour comprendre les connexions numériques et le rôle du corps dans la solitude.


En conclusion

L'article de Cécile Van de Velde démontre avec force que la solitude est un objet sociologique par excellence. En se concentrant sur les dynamiques sociales, les inégalités structurelles et les contextes politiques, la sociologie enrichit considérablement notre compréhension de ce phénomène complexe. Pour que la sociologie de la solitude prenne toute sa place, il est essentiel de renforcer le dialogue interne au champ et de favoriser les collaborations interdisciplinaires avec d'autres sciences sociales (urbanisme, géographie, science politique). C'est en adoptant cette vision large et intégrée que nous pourrons mieux comprendre la solitude contemporaine et élaborer des réponses politiques et communautaires plus justes et efficaces.


Source : Van de Velde, C. (2025). Sociologie de la solitude : une introduction. Acta Sociologica , 0 (0). https://doi.org/10.1177/00016993251330960





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