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Le paradoxe de la proximité : comment nos villes peuvent redevenir des lieux de rencontre

  • Photo du rédacteur: Fédération liens sociaux
    Fédération liens sociaux
  • il y a 1 jour
  • 5 min de lecture

La récente publication The Paradox of Proximity (BLOXHUB, 2025) explore un constat déroutant : plus nous vivons proches les uns des autres, plus la solitude s’installe. Les villes, censées être des creusets de relations, deviennent parfois des lieux d’isolement silencieux.


Sous la direction d’Ann-Britt Elvin Andersen, cette publication fait dialoguer sciences sociales, santé publique et design urbain pour explorer une idée simple mais révolutionnaire : la solitude n’est pas seulement une affaire de psychologie, c’est aussi une question d’urbanisme. Véritable enquête collective, ce rapport a réuni pendant deux ans urbanistes, chercheurs, responsables politiques et acteurs de terrain de six pays – Canada, Japon, Corée du Sud, Finlande, Danemark et France. Chaque contribution part d’un cas concret (un parc, un immeuble, une politique publique) et en tire des enseignements transférables.

Le résultat est un mosaïque particulièrement riche et féconde de 250 pages, structurée autour de cinq grands axes :

  1. Les rencontres du quotidien,

  2. Le logement comme infrastructure sociale,

  3. Le mouvement et la santé mentale,

  4. Les réseaux communautaires,

  5. La résilience émotionnelle des villes de demain.


Le constat majeur : La solitude, une condition essentiellement environnementale


Le rapport établit un changement de paradigme fondamental : la solitude urbaine doit être abordée non pas comme une maladie individuelle, mais comme une condition environnementale façonnée par l'environnement bâti.


Le Paradoxe de la Proximité est au cœur de l'analyse : les villes "empilent" les maisons, les bureaux et les cafés, rapprochant des millions de personnes, mais échouent à créer de véritables liens, transformant les rues bondées en arrière-plans pour des étrangers qui s'ignorent.


  • Le primat du Fonctionnalisme : L'urbanisme traditionnel, axé sur la gestion des usages, la sécurité des bâtiments, et l'efficacité logistique (prévention des conflits d'usage, gestion de la densité), a négligé les "enjeux à grain fin" qui influencent directement les émotions et le bien-être des habitants. L'optimisation (des flux de trafic, du temps de trajet) élimine délibérément la friction, le délai et l'imprévisibilité, qui sont pourtant nécessaires à la sérendipité et aux rencontres.

  • L'importance des Liens Faibles : Les liens faibles (connaissances occasionnelles, voisins familiers) sont essentiels au bien-être social, car ils procurent un sentiment d'être « vu » et de faire partie de la communauté. L'architecture verticale et les routines optimisées empêchent souvent la formation de ces liens.

« Quand quelqu'un dit qu'il est seul, ne le regardez pas, regardez son quartier. Regardez s'il y a des endroits pour s'asseoir, des endroits pour se rencontrer, des raisons d'être dehors. Le problème n'est pas personnel, il est spatial » Gil Penalosa

Les recommandations issues des expériences : passer du curatif au préventif


La publication insiste sur un investissement proactif en amont dans les infrastructures sociales, définies comme les espaces physiques et les structures organisationnelles qui permettent la construction communautaire. Elle propose différentes types de stratégies pour faire de la ville un espace promoteur de liens sociaux.


Stratégies de conception (Le « Matériel »)

  1. Le design à micro-Échelle : L'impact repose sur l'agrégation de tous les petits micro-mouvements dans la ville. Il faut utiliser des interventions de micro-échelle (emplacement des bancs, lignes de visibilité, liens piétonniers) pour guider doucement les gens vers une connexion spontanée. L'élimination de l'architecture hostile (surfaces bosselées, barrières) est essentielle pour inviter les gens à rester, et non pas seulement à circuler.

  2. L'Erreur Créative : Le professeur Kyosuke Sakakura, à Tokyo, propose d'intégrer des « erreurs créatives » (petits détours, séminaires de rue impromptus) pour perturber les routines optimisées et recréer la sérendipité. Ces interventions créent des « zones grises » d'incertitude, là où les interactions humaines peuvent prospérer loin de la logique binaire du numérique.

  3. Le design résidentiel pro-connexion : Dans l'habitat vertical, il faut des couloirs plus larges, des espaces d'atterrissage avec des sièges ("landing spaces with seating") et localiser les boîtes aux lettres ou les buanderies dans des zones qui encouragent les rencontres occasionnelles et sécuritaires. Michelle Hoar, à Vancouver, souligne que la sécurité d'occupation (lutte contre les expulsions) est un prérequis fondamental pour que les résidents puissent s'enraciner et construire des liens.


Stratégies de programmation et politique (Le « Logiciel » et le « Heartware »)

  1. Budgétiser le « logiciel social » : Les villes doivent intégrer les budgets pour des activités continues et à faible barrière d'accès (concerts pop-up, rencontres nettoyage-café) aux dépenses d'infrastructure dès le départ. Ces petites activités régulières sont plus efficaces que les grands événements ponctuels.

  2. Créer une « architecture de permission » : Il faut donner une autorisation culturelle explicite aux comportements sociaux bénéfiques, afin de contrecarrer les décennies de messages sur le « danger des étrangers ». La recherche canadienne montre que les personnes qui parlent à des étrangers une fois par semaine sont trois fois plus heureuses.

  3. L'approche universelle et digne : Le programme Boostii à Turku, en Finlande, offre un accès gratuit et universel aux activités parascolaires pour les jeunes, garantissant la dignité en évitant la stigmatisation liée aux tests de ressources. L'approche doit être universelle mais différenciée, créant une « tapisserie de services » adaptée aux besoins spécifiques de « tout le monde » (personnes âgées, jeunes parents, etc.) plutôt qu'une solution unique pour « tous ».


Les points forts des exemples présentés

Les cas étudiés confirment qu'une intervention systématique produit des résultats mesurables, allant de la résilience communautaire aux économies de coûts de santé.

Ville / Initiative

Point Fort

Citation Marquante

Séoul (Heartware)

Utilisation d'un système d'alerte précoce basé sur les données (modèles d'utilisation du gaz et de l'électricité) pour identifier proactivement les ménages isolés avant qu'une crise ne survienne. L'investissement est massif et préventif ($327 millions).

Sujin Lee : « Au lieu de s'accrocher au problème, nous avons essayé d'empêcher que cela ne se produise du tout ».

Tokyo (Cleanup Coffee Club)

Création de capital social durable par des actions simples, répétables et à faible seuil d'engagement. Le nettoyage procure un sentiment de contribution et permet une « connexion parallèle » sans pression de performance.

Riku Natsui : « Un lieu de confort où l'on peut simplement être soi-même—sans avoir besoin de performer, d'atteindre ou de prouver ses compétences » (Définition de l'ibasho).

Toronto (Social Prescribing)

Le Social Prescribing (prescription sociale) a montré une réduction de 49 % de la solitude auto-déclarée et une baisse des coûts de santé de 20 % dans les projets pilotes, en connectant les soins de santé aux ressources communautaires.

Kate Mulligan : « Les gens se sentent plus connectés dans des espaces qui sont intentionnellement conçus à cet effet ».

Paris (8-80 Cities)

Philosophie de conception intergénérationnelle : si un espace fonctionne pour un enfant de 8 ans et un aîné de 80 ans, il fonctionne pour tout le monde. L'accent est mis sur la programmation pour réunir intentionnellement les générations (jardinage, partage de compétences).

Gil Penalosa : « Il ne s'agit pas de grands événements une fois par an. Il s'agit de petites activités qui se déroulent régulièrement, constamment, créant des raisons pour les gens de se rencontrer semaine après semaine ».

Conclusion : mesurer ce qui compte vraiment

Le combat contre le paradoxe de la proximité exige que les villes aillent au-delà des indicateurs économiques traditionnels. Elles doivent commencer à mesurer la connexion — le taux de participation, la familiarité entre voisins, le bien-être émotionnel — pour guider l'amélioration continue. Le futur de nos métropoles dépendra de cette capacité à transformer la densité en richesse communautaire. L'urbanisme doit désormais s'assurer que l'environnement bâti ne fait pas qu'abriter les gens efficacement, mais qu'il cultive activement les relations qui donnent un sens à la vie urbaine.


Source : Andersen, A.-B. E. (Ed.). (2025). The paradox of proximity: Preventing urban loneliness. Copenhagen, Denmark: BLOXHUB. https://bloxhub.org/


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