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Liens sociaux et solitude : le rapport choc de l’OCDE

  • Photo du rédacteur: Fédération liens sociaux
    Fédération liens sociaux
  • 22 oct.
  • 7 min de lecture

L'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) a récemment publié un rapport majeur intitulé Liens sociaux et Solitude dans les Pays de l'OCDE. Ce document historique approfondit un aspect essentiel du bien-être multidimensionnel : la qualité et la fréquence de nos liens sociaux. Ce rapport, le premier du genre à fournir une évaluation comparative internationale aussi complète, met en lumière des tendances inquiétantes concernant la déconnexion et la solitude, notamment chez les jeunes et les hommes.


Contexte : pourquoi les liens sociaux sont-ils devenus une priorité ?


Le sujet des liens sociaux est passé d'une préoccupation de niche à une priorité de santé publique mondiale. Au-delà de leur importance intrinsèque pour une vie saine, les liens sociaux ont des effets considérables sur la santé physique et mentale, l'emploi, l'éducation ou encore l'engagement civique. Inversement, la solitude prolongée et l'isolement social entraînent des conséquences graves, notamment des coûts économiques et sociaux élevés, une surmortalité prématurée, une baisse de la productivité et des taux d'abandon scolaire plus élevés.


La reconnaissance croissante que ces facteurs sont façonnés par des conditions structurelles et des choix politiques a poussé plusieurs gouvernements de l'OCDE à agir. Des pays comme le Royaume-Uni et le Japon ont nommé des ministres dédiés à la solitude, tandis que l'Allemagne, la Finlande, le Danemark, les Pays-Bas, la Suède et l'Espagne ont lancé ou développent des stratégies nationales pour la cibler. En mai 2025, l'Assemblée mondiale de la Santé de l'OMS a d'ailleurs approuvé une résolution historique faisant des liens sociaux une priorité de santé publique mondiale.


Ce rapport spécial de l'OCDE s'inscrit dans ce contexte et mobilise une méthodologie robuste, combinant des sources de données officielles de haute qualité et à grande échelle. Le cadre conceptuel employé distingue 3 dimensions clés des liens sociaux :

  • Structure : Elle se réfère à l'existence et à la quantité des relations, mesurée par la fréquence des interactions sociales et la composition du réseau.

  • Fonction : Elle capture le soutien (matériel ou non) perçu ou réel fourni par ces relations.

  • Qualité : Elle reflète les caractéristiques subjectives des relations, telles que les sentiments de solitude et la satisfaction relationnelle.


Le rapport utilise principalement des enquêtes internationales comparables comme l'Enquête de l'Union européenne sur les revenus et les conditions de vie (EU-SILC) et le Gallup World Poll, complétées par des données nationales pour une image plus complète. Une conclusion méthodologique importante est que la quantité d'interactions (structure) n'est que faiblement corrélée aux résultats qualitatifs (solitude, soutien perçu), soulignant la nécessité de mesurer ces différents aspects pour des interventions politiques efficaces.


Principaux résultats et enseignements clés


Les conclusions du rapport se structurent autour de quatre messages principaux :


1. Une déconnexion sociale structurelle malgré une satisfaction générale


Si la majorité des citoyens des pays de l'OCDE entretiennent des liens solides – 95 % des répondants ont interagi avec des amis ou de la famille proche au cours de la semaine précédente, et 90 % peuvent compter sur quelqu'un en cas de besoin – des manques significatifs persistent :

  • En moyenne, 10 % des personnes ne se sentent pas soutenues.

  • Dans 22 pays européens de l'OCDE, 8 % des répondants n'ont aucun ami proche.

  • 6 % des personnes dans 23 pays de l'OCDE se sentent seules « la plupart ou tout le temps ».


2. La baisse des interactions en personne et la montée du numérique


La fréquence des interactions sociales en personne est en déclin constant depuis 15 ans, même avant la pandémie de COVID-19. Dans 21 pays européens de l'OCDE, le pourcentage de personnes rencontrant quotidiennement leurs amis en personne est passé de 21% en 2006 à 12% en 2022.


Cette baisse est compensée par l'augmentation des contacts à distance (téléphone, SMS, réseaux sociaux). Le pourcentage de répondants contactant leurs amis quotidiennement à distance est passé de 23% en 2006 à 28% en 2022.


En parallèle, la qualité subjective des liens a légèrement mais significativement baissé entre 2018 et 2022, une période marquée par la pandémie. Par exemple, le pourcentage de personnes déclarant n'avoir jamais ressenti de solitude est passé de 59% à 51% dans 22 pays européens de l'OCDE entre 2018 et 2022.


3. L'émergence de nouveaux groupes à risque : Jeunes et Hommes


Alors que les groupes les plus à risque étaient traditionnellement les personnes âgées, cette dynamique change.

  • Les Jeunes (16-24 ans) : Ils ont connu les plus fortes détériorations sur presque tous les indicateurs subjectifs. Ils ont vu la plus forte augmentation du sentiment de solitude et le déclin le plus marqué de la satisfaction relationnelle. Ils ont également subi la chute la plus forte des contacts quotidiens en personne avec leurs amis entre 2015 et 2022.

  • Les Hommes : Bien qu'ils aient traditionnellement signalé des taux de solitude plus faibles que les femmes, les hommes ont connu des détériorations plus importantes que les femmes en matière de solitude et de qualité relationnelle entre 2018 et 2022. Une grande partie de ces déclins chez les jeunes est d'ailleurs imputable aux jeunes hommes.


4. Le fardeau des inégalités socio-économiques


Les privations en matière de connexions sociales recoupent souvent les désavantages socio-économiques.

  • Les individus ayant un niveau d'éducation inférieur au secondaire supérieur, ceux dans le quintile de revenu le plus faible et les chômeurs sont considérablement plus à risque de solitude, de manque de soutien et d'insatisfaction relationnelle. Par exemple, les personnes appartenant au quintile de revenu le plus faible sont 6,2 fois plus susceptibles d'être seules que celles du quintile supérieur.

  • Les personnes qui vivent seules sont également beaucoup plus vulnérables. Les personnes vivant seules sont 3,4 fois plus susceptibles de se sentir seules que celles vivant avec d'autres.


Rôle des Infrastructures Sociales et de la Digitalisation


Le rapport identifie deux leviers politiques essentiels : les infrastructures sociales et la digitalisation.

  • Infrastructures Sociales : Les espaces physiques accessibles (bibliothèques, centres communautaires, parcs) sont essentiels pour favoriser les interactions et construire le capital social, en particulier les liens "passerelles" avec des groupes sociaux différents. Cependant, le financement de ces infrastructures est souvent en déclin. La qualité, l'accessibilité et l'hospitalité de ces lieux jouent un rôle important pour les personnes âgées, celles vivant seules et celles disposant de peu de ressources financières pour socialiser (notamment face à la crise du coût de la vie).

  • Digitalisation : Face au déclin des interactions en personne, la technologie est devenue un moteur complexe de la (dé)connexion. L'efficacité des technologies dépend du type d'utilisation : l'utilisation passive des médias sociaux est plus associée à des résultats négatifs, tandis que la communication active peut favoriser la connexion. Les politiques visant à réglementer l'utilisation des médias sociaux par les jeunes (tels que les interdictions en classe) nécessitent une évaluation rigoureuse pour déterminer leur efficacité sur la connexion sociale et pas seulement sur les résultats cognitifs ou l'attention.


Focus sur la France, pays particulièrement fragilisé


La France est incluse dans la plupart des analyses agrégées de l'OCDE et présente des tendances spécifiques dignes d'intérêt.

  • Solitude et tendances par âge : Contrairement à la tendance générale de l'OCDE où la solitude a le plus augmenté chez les jeunes, la France a connu une dynamique différente dans la période récente. Entre 2018 et 2022, la cohorte des 65 ans et plus en France a connu la plus forte augmentation de la solitude déclarée (« tout le temps »), tandis que le groupe des 18−24 ans a enregistré la plus faible augmentation.

  • Prévalence de la solitude et du manque de soutien : En 2022, la France affichait un taux de solitude relativement élevé par rapport à la moyenne : 11% des répondants se sentaient seuls la plupart ou tout le temps au cours des quatre dernières semaines.


Figure 1. Principaux résultats en matière solitude, 2022 ou dernière année disponible (NOR : Norvège, OCDE : Moyenne des pays de l'OCDE, FRA : France)
Figure 1. Principaux résultats en matière solitude, 2022 ou dernière année disponible (NOR : Norvège, OCDE : Moyenne des pays de l'OCDE, FRA : France)
Figure 2. Part des répondants qui se sont sentis seuls la plupart du temps ou tout le temps au cours des 4 dernières semaines, OCDE 25, 2022-2023
Figure 2. Part des répondants qui se sont sentis seuls la plupart du temps ou tout le temps au cours des 4 dernières semaines, OCDE 25, 2022-2023
  • Soutien financier : Le manque de soutien financier disponible est particulièrement visible en France. Seulement 25\% des répondants français ont déclaré avoir « toujours » quelqu'un pour leur prêter de l'argent, un taux inférieur à celui du Mexique (33%) et des États-Unis (39%).

  • Composition du tissu social : En France, en 2022, 14% des répondants n'avaient pas d'amis ayant des opinions politiques différentes, et 21% n'avaient pas d'amis d'une confession religieuse différente.

  • Politiques publiques : Les autorités françaises reconnaissent l'importance des infrastructures sociales. Des initiatives locales sont identifiées mais il manque à ce jour une stratégie nationale et une politique publique de référence.


Conclusion : L'impératif d'investir dans les liens sociaux


Ce nouveau rapport de l'OCDE dresse un tableau contrasté de la vie sociale dans les économies développées. Si la majorité des citoyens des pays de l'OCDE jouissent encore de liens sociaux solides, des poches de déconnexion et de solitude persistent de manière notable.

Les données confirment une transition progressive et désormais structurelle dans nos modes d'interaction au profit d'une augmentation du contact à distance. Néanmoins, l'érosion la plus préoccupante concerne la qualité subjective de ces liens, notamment l'augmentation des sentiments de solitude et la baisse de satisfaction relationnelle, tendances exacerbées par le contexte post-pandémique.

Le rapport souligne, de plus, l'émergence de groupes inédits nécessitant une attention politique immédiate : les jeunes de 16 à 24 ans et, dans une large mesure, les hommes, qui ont enregistré les plus fortes détériorations récentes sur presque tous les indicateurs subjectifs, de la solitude à la satisfaction relationnelle. Pour la jeunesse, la diminution des interactions quotidiennes en personne avec les amis est particulièrement marquée.

En définitive, la nécessité d'améliorer et d'harmoniser la mesure des différentes dimensions des liens sociaux – structure, fonction et qualité – demeure l'une des recommandations clés. Cela permettra d'assurer que les futures stratégies, qu'elles ciblent le désavantage socio-économique, la solitude des personnes âgées ou le bien-être numérique de la jeunesse, reposent sur une base factuelle robuste, transformant ainsi la préoccupation croissante pour la solitude en une action collective efficace.


Source : OECD (2025), Social Connections and Loneliness in OECD Countries, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/6df2d6a0-en.




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