Déploiement national de la prescription sociale : enseignements de la démarche britannique pour une implémentation équitable en France
- Fédération liens sociaux
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Alors que les médecins généralistes voient leurs consultations saturées de détresse sociale et de mal-être psychique, une question s’impose : comment répondre à ces besoins qui ne relèvent pas seulement du soin, mais du vivre-ensemble ? La prescription sociale (PS) constitue une approche novatrice dans le domaine de la santé, visant à connecter les patients à un éventail de services non cliniques au sein de leur communauté locale pour soutenir leur bien-être et leur santé. Ces interventions communautaires incluent des activités variées, telles que la pratique d'activités physiques ou culturelles, du bénévolat, le soutien au logement ou des conseils en matière d'emploi.
L'importance de la PS réside dans sa capacité à offrir une approche plus holistique des soins, complétant les traitements cliniques et comblant les lacunes de services en répondant aux besoins sociaux, émotionnels et pratiques des patients. Ces besoins représentent une part significative des consultations, estimée à environ 20 % des consultations de médecine générale (MG).
En France, cette approche commence à émerger dans plusieurs territoires pilotes. À la Fédération française pour les liens sociaux, nous expérimentons cette pratique dans plusieurs communes, en lien avec les professionnels de santé, les collectivités et les associations locales. Mais comment garantir que cette démarche, encore balbutiante, bénéficie réellement à tous — et pas seulement à ceux qui savent déjà naviguer dans les dispositifs ?
Pour éclairer cette question, l’expérience anglaise fournit un matériau d’une richesse exceptionnelle.
Expansion massif de la pratique et dépassement des objectifs nationaux
Depuis 2019, la prescription sociale est devenue une composante officielle du système de santé en Angleterre (NHS), avec l'adoption prédominante d'un modèle reposant sur un trio : un professionnel de santé en soins primaires (généralement un médecin généraliste) réfère le patient à un agent de liaison (link worker) qui lui même accompagne le patient vers des activités locales proposés par des acteurs du territoire. Cependant, le succès et l'équité de ce déploiement à grande échelle restaient à évaluer.
Une étude observationnelle longitudinale, réalisée récemment à l'échelle nationale et analysant les dossiers de soins primaires provenant de 1,2 million de patients inscrits dans 1736 cabinets de médecine générale en Angleterre, fournit la première analyse détaillée de cette implémentation. Cette recherche visait à évaluer les tendances de croissance, l'alignement avec les populations cibles, et les profils sociodémographiques des patients référés.
Les résultats de l'étude démontrent une expansion rapide et constante de la prescription sociale au sein des cabinets de médecine générale en Angleterre depuis 2019, signalant une large acceptabilité du service.
Ce développement a largement dépassé les objectifs fixés par le NHS, qui visait à référer plus de 900 000 patients d'ici 2023-2024.
À la fin de l'année 2023, on estime que 9,4 millions de consultations de MG en Angleterre ont impliqué des codes de prescription sociale.
Parmi celles-ci, 5,5 millions de consultations ont spécifiquement abouti à une orientation vers la PS.
Rien qu'en 2023, environ 1,3 million de patients ont été référés.
Le dépassement des objectifs nationaux, avec des références excédant la cible de 27 à 52 % pour la seule année 2023, souligne l'engouement marqué pour la PS dans le secteur des soins primaires.
Dynamique de l'équité : atteindre les populations vulnérables
Un objectif clé de la prescription sociale est de réduire les inégalités en santé. Bien que des inquiétudes aient été soulevées quant au risque que la PS n'aggrave ces inégalités en bénéficiant de manière disproportionnée aux populations moins désavantagées, l'étude observe des progrès substantiels dans l'atteinte des groupes traditionnellement mal desservis.
Vulnérabilité socioéconomique : La représentation des patients vivant dans les zones les plus défavorisées a considérablement augmenté. Le pourcentage de patients issus des cinq déciles de privation les plus élevés est passé de 23 % en 2017 à 42 % en 2023.
Origine ethnique : En 2023, les patients issus de minorités ethniques représentaient 21,7 % des patients en PS, dépassant les 19,3 % observés dans la population générale. Par ailleurs, les patients issus de minorités ethniques affichaient des chances de refus de service inférieures par rapport aux patients habituels. En 2023, les patients habituels présentaient un risque de refus 32 % plus élevé que ceux des minorités ethniques.
Ces résultats suggèrent une avancée significative vers l'égalité d'accès pour certaines populations historiquement marginalisées.
Les disparités persistantes et facteurs de refus
Malgré l'expansion rapide et les progrès en matière d'équité, l'étude met en évidence des disparités qui nécessiteraient des stratégies ciblées. Le taux de refus de service a globalement diminué, passant de 22 % en 2019 à 11-12 % en 2023. Cependant, le refus varie selon les caractéristiques sociodémographiques :
Sexe : Les femmes sont surreprésentées dans les consultations de PS, représentant environ deux tiers des patients. Les femmes présentent également des chances de refus de service inférieures à celles des hommes (odds ratio 21 % inférieur en 2023).
Âge : Les groupes d'âge plus âgés étaient plus susceptibles de refuser les références, une tendance particulièrement marquée depuis 2020.
Zones Rurales : On constate une sous-représentation persistante des résidents des zones rurales (13 % des références en 2023, contre 17 % dans les statistiques nationales). Cette disparité pourrait être liée à des ressources communautaires limitées dans certains contextes ruraux.
Enseignements pour le déploiement en France
L’étude britannique confirme que la prescription sociale n’est plus une utopie bienveillante, mais un levier structurel de santé publique. En France, nous avons l’opportunité de bâtir un modèle fondé sur la science, la participation citoyenne et la justice sociale.
1. Prioriser l'Équité dès la Phase d'Implémentation
Le déploiement français devrait intégrer des stratégies ciblées pour garantir une accessibilité et une adoption équitables, afin d'éviter d'amplifier les inégalités existantes.
• Ciblage des zones défavorisées : Le succès relatif de l'Angleterre à atteindre les communautés les plus défavorisées (42 % des patients en 2023) est un modèle, mais cela nécessite une allocation de ressources spécifiques aux zones de grande nécessité.
• Collecte de données : Il est impératif de mettre en place un suivi annuel des taux et des tendances de références de PS pour assurer une amélioration continue de l'équité d'accès.
2. Standardisation des Définitions et des Codes
L'étude met en lumière la confusion potentielle générée par l'utilisation de termes interchangeables avec la prescription sociale (tels que médiateur de santé, coach santé ou entraineur santé). Pour faciliter la recherche, l'évaluation des politiques et la comparabilité des données, il est urgent d'établir des définitions et des pratiques de codage standardisées au niveau national.
3. Diversification des Voies d'Orientation
L'analyse s'est concentrée sur les orientations des médecins généralistes. Cependant, des travaux récents suggèrent que les jeunes adultes, les groupes défavorisés et les minorités ethniques sont plus susceptibles d'accéder à la PS par des voies non cliniques (auto-référence, organisations du secteur communautaire).
Le modèle français devrait intégrer et valoriser ces voies alternatives pour ne pas sous-estimer la pénétration du service et garantir une stratégie de référence complète.
4. Comprendre et réduire le taux de refus
Le déclin général du taux de refus en Angleterre est encourageant, mais les disparités soulignent la nécessité de s'attaquer aux barrières contextuelles spécifiques. Des recherches approfondies sont nécessaires pour identifier les freins à l'acceptation chez certains sous-groupes (notamment les personnes plus âgées et les hommes, selon cette étude) afin de concevoir des interventions locales efficaces pour réduire ces taux et encourager l'engagement soutenu.
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Cette étude sur la généralisation de la prescription sociale en Angleterre confirme la reconnaissance et l'adoption généralisées de cette approche dans les soins primaires. Les progrès réalisés pour atteindre les communautés défavorisées sont prometteurs, alignant le déploiement sur les initiatives de réduction des inégalités de santé. Toutefois, les disparités persistantes en fonction de l'âge, du sexe et de la géographie (zones rurales) exigent des actions ciblées.
Pour la France, ces résultats mettent en exergue la nécessité d'une planification rigoureuse axée sur l'équité, la standardisation des processus et la diversification des chemins d'accès pour que la prescription sociale puisse réaliser pleinement son potentiel en tant qu'élément clé des soins personnalisés universels, reliant santé, société et solidarité.
Source : Bu, F., Burton, A., Launders, N., Taylor, A. E., Richards-Belle, A., Tierney, S., Osborn, D., & Fancourt, D. (2025). National roll-out of social prescribing in England’s primary care system : a longitudinal observational study using Clinical Practice Research Datalink data. The Lancet Public Health. https://doi.org/10.1016/s2468-2667(25)00217-8

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