Alors que nous concluons notre série d'articles scientifiques "Connecting the dots / Relier les points", il est clair que la lutte contre l’isolement social et la solitude nécessite de repenser en profondeur notre approche de la recherche et de la pratique. Le parcours de cette série a révélé comment l’isolement social et la solitude affectent non seulement le bien-être individuel, mais se répercutent sur les communautés, nos lieux de travail et la société dans son ensemble. Bien que la compréhension et la lutte contre l’isolement social et la solitude posent des défis importants, il importe de fédérer des voix diverses – des chercheurs et des décideurs politiques aux acteurs de terrain et aux personnes ayant une expérience vécue – pour créer un changement significatif.
Le défi qui nous attend : au-delà des solutions individuelles
Tout au long de cette série, nous avons vu comment la déconnexion sociale représente un défi majeur en matière de santé publique et de sécurité, affectant le bien-être mental et physique tout en créant des répercussions sociétales plus larges. La pandémie de la COVID-19 a mis en évidence ces vulnérabilités, montrant à quelle vitesse notre tissu social peut s'effilocher et soulignant le besoin urgent de solutions globales. Pourtant, comme nous l'avons évoqué dans des articles précédents, les approches traditionnelles sont souvent insuffisantes, se concentrant trop étroitement sur les interventions individuelles et sur certains groupes de population tout en négligeant les facteurs sociétaux et structurels plus larges qui contribuent à la déconnexion.
Cette vision limitée est particulièrement évidente dans la manière dont nous mesurons et étudions l’isolement social et la solitude. Nos outils actuels, principalement développés dans les contextes des pays occidentaux, passent souvent à côté de nuances culturelles et contextuelles cruciales. Ils ne parviennent pas à refléter la nature dynamique et relationnelle des relations humaines. De plus, ils rendent rarement compte des diverses façons dont les différentes communautés vivent et expriment les liens sociaux.
De la compréhension statique à la compréhension dynamique
Notre parcours à travers cette série d'articles a mis en évidence la nécessité d’un changement fondamental dans la façon dont nous mesurons et comprenons les liens sociaux. Les approches traditionnelles, bien que précieuses, ne parviennent souvent pas à saisir la nature dynamique et contextuelle des relations humaines.
Pour aller de l’avant, plusieurs innovations clés en matière de mesure sont nécessaires :
Premièrement, nous devons développer des outils adaptés aux différences culturelles et qui fonctionnent dans des populations diverses. Nos mesures actuelles, principalement élaborées dans des contextes occidentaux, manquent souvent de validité lorsqu’elles sont appliquées dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Il ne s’agit pas seulement d’une question de traduction, mais de repenser fondamentalement la manière dont nous conceptualisons et mesurons les liens sociaux dans différents contextes culturels.
Deuxièmement, nous devons aller au-delà des mesures statiques pour adopter des modèles de réseau qui saisissent la nature dynamique des liens sociaux. Contrairement aux modèles traditionnels à variables latentes qui considèrent la solitude comme un trait fixe, les approches de réseau peuvent révéler comment différents aspects des liens sociaux interagissent et évoluent au fil du temps. Ce changement nous aide à comprendre non seulement la présence de la solitude, mais aussi ses schémas et ses voies.
Troisièmement, nous devons promouvoir des approches idéographiques qui accordent la priorité aux expériences et aux besoins individuels. Les liens sociaux sont profondément personnels et dépendent du contexte. En développant des outils de mesure qui peuvent s’adapter à des environnements sociaux changeants, nous garantissons que notre compréhension reste ancrée dans les conditions du monde réel plutôt que sur des moyennes abstraites.
De la recherche à la réalité
Le défi consiste désormais à transférer des connaissances en actions concrètes. Cela nécessite de prêter une attention particulière à la manière dont les résultats de la recherche sont communiqués et mis en œuvre dans différents contextes. Nous devons créer des boucles de rétroaction solides entre les chercheurs, les acteurs de terrain et les décideurs politiques, afin de garantir que les interventions puissent être adaptées et affinées en fonction de l’expérience du monde réel.
Ce processus de transfert de connaissances ne se limite pas à une communication plus claire des résultats, même si cela est certainement important. Il s’agit de créer de véritables partenariats dans lesquels les acteurs de terrain et les organisations communautaires participent à la formulation des questions de recherche et à l’interprétation des résultats. Il s’agit de veiller à ce que les décideurs politiques comprennent non seulement ce qui fonctionne, mais aussi pourquoi et dans quelles conditions.
Plusieurs principes clés ressortent de ce travail :
Premièrement, nous devons accepter la complexité. Les solutions simples ne permettent pas toujours de résoudre efficacement les problèmes sociaux complexes. Il nous faut plutôt des approches nuancées, adaptables à différents contextes tout en conservant leur efficacité.
Deuxièmement, nous devons donner la priorité à la réduction des inégalités. Cela signifie que nous devons veiller à ce que nos recherches et nos interventions atteignent les personnes les plus touchées par l’isolement social et la solitude, notamment les communautés marginalisées souvent négligées dans la recherche traditionnelle.
Enfin, nous devons penser à long terme. Il faut du temps pour établir des liens sociaux significatifs, et nos approches de recherche et d’intervention doivent refléter cette réalité.
Accélérer la mise en œuvre des solutions : le modèle d'incubateur d'intervention
Si la mesure et le transfert de connaissances sont essentielles, il ne faut pas attendre d'avoir une compréhension parfaite avant d'agir. C'est là qu'intervient le concept d'incubateur d'interventions. S'inspirant des modèles d'incubateurs d'entreprises, cette approche favoriserait le développement et le test d'interventions grâce à des efforts collaboratifs à grande échelle. Imaginez un réseau mondial de chercheurs, de praticiens et de communautés travaillant ensemble pour tester et affiner rapidement les interventions.
L’objectif n’est pas seulement de créer des interventions efficaces, mais aussi d’assurer leur pérennité à long terme. De nombreuses interventions restent trop souvent ponctuelles et disparaissent une fois le financement terminé. En intégrant les connaissances issues des technologies numériques et des programmes communautaires, nous pouvons créer des interventions adaptables, évolutives et adaptées aux besoins de la communauté.
Regard vers l’avenir : un appel à l’action collective
En nous tournant vers l’avenir, les priorités que nous avons identifiées – de l’amélioration des mesures à l’accélération du développement des interventions – doivent être poursuivies dans un cadre de véritable collaboration. Cela signifie maintenir et renforcer les réseaux de collaboration qui rassemblent diverses parties prenantes, non seulement pour des consultations, mais pour une véritable co-création de solutions. Ces réseaux doivent dépasser les frontières géographiques et disciplinaires, créant des espaces où différentes formes d’expertise – qu’elles soient académiques, pratiques ou expérientielles – sont valorisées de manière égale.
Le chemin à parcourir n’est pas simple, mais nous devons le parcourir ensemble. En réunissant des points de vue divers, en maintenant des normes scientifiques rigoureuses tout en restant flexibles et adaptables, et en nous concentrant sur l’impact sur le monde réel, nous pouvons œuvrer pour un avenir où des liens sociaux significatifs seront à la portée de tous.
Les travaux que nous avons explorés dans cette série ne représentent qu’un début. À mesure que nous avançons, maintenons cet esprit de collaboration et cet engagement en faveur d’une action fondée sur des données probantes. Le défi de l’isolement social et de la solitude peut être complexe, mais en travaillant ensemble – chercheurs, décideurs politiques, acteurs de terrain et communautés – nous pouvons créer des sociétés plus reliées et plus résilientes. Ce n’est qu’en déployant des efforts soutenus et coopératifs que nous pourrons espérer relever efficacement le défi de l’isolement social et de la solitude dans nos communautés.
Cet article est une adaptation d'un article rédigé par Drs Hans Rocha IJzerman et Judith Merkies (disponible ici). Il fait partie de la série d'articles publiée avec l'aimable autorisation du Dr Hans Rocha IJzerman, Co-fondateur de la Fédération française pour les liens sociaux et CEO du Annecy Behavioral Science Lab.
Nous vous invitons à découvrir l'ensemble des articles de cette série :
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