L'isolement social et la solitude sont des enjeux de santé publique majeurs, ayant des conséquences importantes sur la santé physique et mentale. Les études ont démontré que l'isolement social et la solitude sont associés à un risque de mortalité accru, comparable à des facteurs de risque bien établis tels que le tabagisme et l'obésité. La pandémie de COVID-19 a mis en évidence l'urgence de ce problème. Il est donc crucial de mettre en œuvre des interventions efficaces et fondées sur des données probantes.
Dans ce nouvel article issu de la série "Connecting the dots / Relier les points", nous chercherons à savoir pourquoi les interventions de haute qualité sont importantes et quelles sont les limites des interventions existantes. Nous proposerons des stratégies pour faire progresser la recherche interventionnelle et offrirons des recommandations pratiques aux professionnels et acteurs en l'absence de preuves solides.
Les lacunes des données probantes et la nécessité d'une recherche de haute qualité
Des cartes des lacunes en matière de données probantes (CLD) (Welch et al., 2023 , 2024) ont analysé plus de 700 études sur les interventions contre l'isolement social et la solitude.
Ces analyses ont mis en lumière plusieurs problèmes majeurs :
Problèmes de qualité : La majorité des revues systématiques sont de très faible qualité (plus de 70%). Cela compromet notre capacité à émettre des recommandations fiables sur l'efficacité des interventions.
Déséquilibre géographique : La plupart des recherches proviennent de pays à revenu élevé, créant un manque de connaissances sur l'efficacité des interventions dans différents contextes culturels et socio-économiques, notamment dans les pays à revenu faible ou intermédiaire (Forscher et al., 2021).
Types d'interventions : Il y a une préférence pour certaines interventions (activités de groupe, interventions cognitives), avec un manque de recherche sur les interventions au niveau sociétal qui traitent des facteurs structurels comme le logement ou le transport.
Mise en œuvre : L'attention portée à la science appliquée est limitée. Moins de 5% des évaluations ont examiné les indicateurs de processus ou les résultats de mise en œuvre. Il est pourtant essentiel de comprendre comment les interventions fonctionnent dans des contextes réels.
Répartition par âge : Les études se concentrent de manière disproportionnée sur les personnes âgées, alors que l'isolement social et la solitude touche les personnes de tous âges. 60 % des études ciblaient les adultes ≥ 60 ans, contre seulement 34 % examinant les interventions pour les jeunes ≤ 24 ans. Cette disparité existe malgré les preuves que les populations plus jeunes sont confrontées à des défis importants en matière de solitude et d'isolement social (Qualter et al., 2015).
Équité et accès : Peu d'études ont examiné l'impact des interventions sur différents groupes démographiques et les communautés marginalisées (O'Neill et al., 2014 ), ou les questions d'accessibilité aux interventions numériques (Budd et al., 2020 )..
Transformer la recherche sur l'isolement social et la solitude
Face à ces lacunes, il est impératif de transformer la recherche sur l'isolement social et la solitude en adoptant une approche collaborative et axée sur la qualité.
Voici quelques stratégies clés :
Big Team Science (BTS) : Coordonner des équipes de recherche de différents pays et institutions pour mener des études à grande échelle. Cela permettrait de mettre en commun des ressources, de combiner des données diverses et d'intégrer l'expertise de différentes régions.
Réseau de recherche collaboratif : Mettre en place un réseau de recherche coordonné réunissant des équipes de recherche, des décideurs, des praticiens et des bailleurs de fonds. Ces stratégies pourraient se concentrer sur des tests et innovations à grande échelle pour évaluer rapidement les interventions dans différents contextes, la recherche à haut risque et à haut rendement, y compris les interventions au niveau sociétal, ou encore le partage des données et les rapports enregistrés pour la transparence et la reproductibilité.
Inclusion des pays à revenu faible ou intermédiaire : S'assurer que les chercheurs des pays à revenu faible ou intermédiaire sont impliqués en tant que chefs de file, pas seulement comme participants.
Incitations au partage des données : Mettre en place des incitations et des structures de gouvernance pour surmonter les obstacles au partage des données.
Système d'évaluation par les pairs : Établir un système d'évaluation par les pairs spécifique à la recherche en matière d'isolement social et de solitude, évaluant les plans d'étude avant la collecte des données.
Recommandations pratiques pour les professionnels
En l'absence de preuves solides, plusieurs recommandations pour réduire l'isolement social et la solitude peuvent être formulées au regard de l'état actuel des connaissances.
Il convient ainsi de :
Personnaliser les interventions : Adapter les interventions aux besoins, contextes et attentes individuelles.
Se concentrer sur la prévention précoce : Privilégier les interventions visant à prévenir la solitude chronique plutôt qu'à la traiter une fois installée.
Tenir compte des contextes culturels : S'assurer que les interventions sont adaptées aux spécificités culturelles des populations ciblées.
Utiliser une approche multi-niveaux : Combiner différents types d'interventions (individuelles, communautaires, structurelles) pour maximiser l'impact.
Documenter et partager les données : Contribuer à la base de données probantes en documentant les processus et les résultats de mise en œuvre, même en l'absence de résultats significatifs.
Conclusion
L'avenir de la recherche sur l'isolement social et la solitude dépend de notre capacité à transformer nos méthodes de recherche, à partager nos données et à collaborer au-delà des frontières. En adoptant les principes énoncées et en développant des réseaux de recherche dédiés, nous pouvons combler les lacunes méthodologiques et géographiques. Cela permettra d'améliorer la qualité des recherches, de garantir la pertinence des interventions pour diverses populations, et de mettre en œuvre des solutions efficaces et équitables pour lutter contre l'isolement social et la solitude.
Cet article est une adaptation de deux articles rédigés par Drs Hans Rocha IJzerman , Elizabeth Ghogomu , Samia Akhter-Khan et Vivian Welch (ici et ici). Il fait partie de la série d'articles publiée avec l'aimable autorisation du Dr Hans Rocha IJzerman, Co-fondateur de la Fédération française pour les liens sociaux et CEO du Annecy Behavioral Science Lab.
Nous vous invitons à découvrir l'ensemble des articles de cette série :
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